Bonjour à tous,

Thierry Coudray n'ayant pas réussi à envoyer son mail sur la liste, je vous le transfère.

Merci infiniment Thierry d'avoir pris le temps d'éplucher la jurisprudence et de rédiger ces explications.

Charlotte Matou

 

---------- Message transféré ----------
De : Thierry Coudray <tcoudray@gmail.com>
Date : 7 août 2017 à 01:44
Objet : Mise sous tutelle administrative de l'association
À : wikimediafr@lists.wikimedia.org, t coudray <tcoudray@gmail.com>

Bonsoir,

La vice-présidente Marie-Alice a affirmé sur Twitter que si le CA démissionnait, l'association serait mis sous tutelle par la préfecture,
puis toujours sur Twitter  Rémi Mathis l'a réaffirmé, affirmation que j'ai contestée, Rémi répondant alors que je n'étais pas avocat et que c'est l'avocat de l'association qui le disait. Dans ce même fil twitter, Charlotte a indiqué n'avoir rien trouvé sur Internet et qu'elle était demandeuse d'infos. Rémi a raison, je ne  suis pas avocat. Mais par obligations professionnelles, j'ai du assez souvent me plonger dans différents droits, comme Wikipédien j'ai aussi l'habitude de chercher des sources fiables et comme en plus j'avais promis à Charlotte de regarder...

Une première remarque : pour avoir souvent interagi avec des avocats pour mon travail, j'ai pris l'habitude de ne jamais prendre leur réponse comme une vérité absolue. Une réponse d'avocat peut être de différente nature (lui même en général d'ailleurs le précise quand il vous la donne):  d'un simple avis oral jusqu'à une consultation avec un écrit détaillé pour lequel il aura fait des recherches de textes de lois et surtout des jurisprudences (le tarif n'est bien sur pas le même pour les deux). Bref un avis, plus ou moins éclairé suivant le temps de travail consacré et la compétence du dit avocat dans le domaine du droit questionné, un avis qui peut être de très bonne qualité mais qui reste un avis. Et par expérience, il est aussi utile parfois de challenger l'avocat, surtout quand le domaine sur lequel on l'interroge n'est pas son domaine habituel.

Seconde remarque ; Le droit des associations est un peu particulier car ce n'est pas une branche codifié du droit (comme le droit du travail, le droit pénal, etc.) mais principalement une loi, assez sommaire, la fameuse loi de 1901  et différents articles du code civil (principalement)  mais aussi du code du travail, du code fiscal et d'autres codes suivant l'objet de l'association (par exemple possiblement le code de l'éducation pour WMFr). Il faut donc aller piocher un peu partout avec le risque que cela soit contradictoire. La jurisprudence sur les associations a elle tendance de plus en plus à s'appuyer sur le droit des sociétés.  

Sur les textes que j'ai trouvés, la tutelle administrative existe bien mais uniquement pour les associations reconnues d'utilité publique (RUP) et elle est automatique. Quand une association obtient le statut RUP, elle se place d'elle-même sous tutelle administrative. Cette tutelle (ministère de l'Intérieur + éventuellement un autre ministère en rapport avec l'objet de l'association) est faite pour veiller que l'association respecte bien, dans la continuité, les conditions lui ayant permis d'avoir cette RUP par exemple la non modification de certains articles de ses statuts ou son mode de financement.  Dans les faits, faute de moyens des préfectures et comme signalé en 2010 par l'Inspection générale de l'administration, cette tutelle est très lâche.

Pour les autres associations (hors les associations très spécifiques comme celles ayant une délégation de service public), il n'existe pas de tutelle (ma réponse au tweet de Rémi était d'ailleurs en partie erronée, car je reprenais ce terme de tutelle même si je pensais tutelle judiciaire et non administrative). Le Conseil d'Etat, suivant la jurisprudence de la Cour européenne, limite fortement les interventions de l'administration dans le fonctionnement des associations qui pourraient être une obstruction à la liberté fondamentale d'association (article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cf. la jurisprudence de la CE, 10e et 9e sous-sections réunies, 16 juillet 2008, n° 300458).  Le seul cas où l'administration est autorisée à agir directement sur une association c'est s'il existe une menace sur la sécurité publique (par ex. dissolution administrative d'associations formant des milices privées). 

Que se passerait-il légalement si WMFr se retrouvait sans CA ? A court-terme, rien. Je n'ai rien trouvé en balayant la jurisprudence (mais les recherches sur Legifrance ne sont pas user-friendly)  et je suis même tombé sur le cas où une association n'avait plus de CA pendant 3 ans (le jugement ne portait pas sur cela mais sur l'élection du nouveau CA, dont l'élection était contestée par certains membres).
Il est à noter d'ailleurs que la loi n'oblige pas une association à avoir un CA mais seulement à avoir des AG régulières.

Dans le cas où la situation viendrait à perdurer, vu que les statuts de l'association ne prévoient rien en cas de vacance complète du CA (ce qui serait peut-être à prévoir à l'avenir) et que la situation deviendrait problématique, l'Etat, mais aussi toute personne "ayant intérêt à agir"  (arrêt n° 05-13.484 de la Cour de cassation du 9 novembre 2006) donc un membre, mais aussi je pense un donateur voire peut-être même un Wikipédien, pourrait solliciter le Tribunal de grande instance (TGI), seul compétent pour imposer quelque chose. En effet c'est le juge et non l'autorité administrative qui dans ce cas peut décider (cf. cette réponse ministérielle à une question d'un député sur les associations en déshérence ou en dysfonctionnement).

Dans le cas de blocage ou de mauvais fonctionnement durable d'une association, le TGI nomme un administrateur provisoire  (comme dit plus haut, on se rapproche du droit des sociétés).  L'administrateur peut avoir suivant ce que décide le juge la mission de gérer temporairement l'association mais aussi une mission plus limitée comme celle de convoquer la tenue d'une assemblée générale et de veiller à sa bonne tenue ou de faire élire un conseil d'administration (ex. arrêt n°13/04666 de la cour d'appel de Paris 20 mars 2014). On serait plus dans ce cas.  A noter que le juge ne peut pas se substituer aux organes de direction de l'association. A noter aussi pour mémoire que le juge peut (ou pas) accéder à la demande d'un plaignant pour mandater un audit de l'association sur un point précis.
Voir sur ces différents points, le bon article synthétique du Lamy Association.

Si Marie-Alice ou Rémi peuvent citer de leur coté  l'article de loi ou la jurisprudence que l'avocat de l'association a avancé pour affirmer qu'une association sans CA est mise sous tutelle de la préfecture, je suis preneur et cela fera progresser la connaissance libre...

Parce que là en l'état, je doute de leur argument pour justifier d'une non démission du CA actuel (qui selon moi aurait beaucoup d'avantages mais là ce n'est que mon avis et qui n'est pas forcément partagé) sur une situation que ne serait que très temporaire.
Mais ce qui me gène le plus c'est que ces derniers temps, le CA cumule les affirmations sur des points légaux, faites de manière publique ou sur la liste de discussion des membres, sans les étayer même quand on le leur demande ou quand ces affirmations sont sérieusement mises en doute. Je peux comprendre que Marie-Alice ne soit pas une spécialiste du droit des associations, mais Wikimédia France dispose d'une directrice exécutive, d'un secrétaire général et d'un budget avocat conséquent donc des moyens plus que suffisant pour que le CA ne désinforme pas les membres et les Wikimédiens.  

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Thierry

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Thierry